Rafale : «Pas de cadeau fait par l'État à Dassault Aviation»
Par Etienne Mougeotte Mis à jour le 12/12/2011 à 07:48 | publié le 11/12/2011 à 23:53 Réactions (43)
Charles Edelstenne, PDG de Dassault Aviation. Crédits photo : © photographie : Arnaud Fevrier
INTERVIEW - Charles Edelstenne, PDG de Dassault Aviation, affirme que l'avion de combat français répond à un besoin exprimé par les états-majors de l'armée et que le coût du programme a été maîtrisé.
Dassault Aviation (1) vient de vivre une quinzaine de jours agités, durant lesquels ses produits et sa stratégie ont été remis en cause. Négociation complexe avec les Émirats arabes unis ; choix par la Suisse du Gripen suédois contre le Rafale ; rejet par le Sénat du projet de drone franco-israélien Dassault IAI ; déclaration du ministre de la Défense, Gérard Longuet, sur le Rafale.Autant de sujets sur lesquels répond le PDG de Dassault Aviation, Charles Edelstenne.
LE FIGARO. - Charles Edelstenne, commençons par le Rafale, où en êtes-vous?
Charles EDELSTENNE. - Que le programme Rafale concentre des critiques parce qu'il n'est pas exporté, je peux le comprendre et j'y reviendrai. Mais les deux premières questions à se poser sur ce programme ne sont-elles pas d'abord: cet avion répond-il aux besoins des militaires et les autorités françaises ont-elles fait avec ce programme le choix le plus raisonnable économiquement? Sur la première question, Dassault Aviation et ses partenaires industriels n'ont pas réalisé le Rafale juste pour se faire plaisir, mais pour répondre à un besoin exprimé par les états-majors et la Direction générale de l'armement. Je constate la satisfaction des opérationnels sur les nombreux théâtres d'opérations où ils ont été engagés avec cet avion. Lors de la crise libyenne, le Rafale a fait la démonstration de sa parfaite polyvalence, c'est-à-dire de sa capacité à remplir toutes les missions afférentes à l'arme aérienne, ce qui le distingue de tous ses compétiteurs.
Quant à la seconde question et quelles que soient les critiques de certains, le Rafale a, sans aucun doute possible, été le choix le plus raisonnable que la France pouvait faire dans le domaine des avions de combat. En effet, la polyvalence du Rafale va permettre une rationalisation de l'arme aérienne qui, de 1995 à 2030, va passer de plus de 650 avions de combat à 286, comme vient de le rappeler le ministre de la Défense mercredi dernier. À titre d'illustration, un Rafale remplit les missions de deux Mirage 2000. Les armées françaises opéreront donc un seul appareil pour l'armée de l'air et l'aéronavale, entraînant d'importantes économies en termes de soutien, là où les Anglais auront deux avions et les Américains trois!
Par ailleurs, à l'heure où l'emploi reste une préoccupation pour tous, il n'est pas inutile de rappeler que 100 % du Rafale sont fabriqués en France et qu'il procure de la charge de travail à près de 500 entreprises, dont de très nombreuses PME-PMI innovantes.
Le Rafale. Cyril AMBOISE
Le coût du programme est présenté comme pharaonique.
Que pouvez-vous répondre?
Malgré les critiques répétées sur son poids financier, le Rafale est le seul programme de cette ampleur dont les coûts ont été maîtrisés par un effort constant de la DGA et des industriels, et ce malgré un retard de dix ans en raison des contraintes pesant sur nos finances publiques. À ce sujet, je lisais récemment un article faisant mention d'une augmentation sensible du coût du programme, alors qu'il ne s'agissait que d'une actualisation de coût pour donner un montant en valeur économique de l'année. Tous ces éléments doivent être maniés avec précaution afin de ne pas induire les lecteurs en erreur. D'après le ministère de la Défense, le Rafale est resté dans son épure initiale ; le prix de série n'augmentant que de 4,7 %, alors que ses concurrents ont connu des dérives non maîtrisées de leurs coûts. La Cour des comptes britanniques, le NAO, a dénoncé cette année une dérive de 75 % du programme européen EF-2000. Pour ceux qui ont encore des regrets sur la sortie de la France de ce programme, il faut bien comprendre qu'un tel choix aurait augmenté de près de 50 % le coût pour le contribuable par rapport au Rafale.
Le JSF F-35 américain est, quant à lui, soumis au contrôle du Congrès pour une dérive de plus de 77 % de ses coûts depuis son lancement, en 2002. Et le développement n'est pas terminé: ce programme est d'ailleurs qualifié outre-Atlantique de «trillion programme«.
Il n'en reste pas moins que vous pesez lourdement sur l'exécution de la loi de programmation militaire, dont l'équilibre reposait sur une baisse des cadences de livraison des Rafale français…
Là encore, il y a des vérités qu'il est nécessaire de rétablir et des amalgames à corriger. Les livraisons annuelles de Rafale n'ont pas comme finalité de faire tourner les chaînes de production de Dassault Aviation. Elles sont là pour répondre aux besoins des forces. Dans le cadre de la préparation de la loi de programmation militaire, j'ai accepté, considérant les contraintes budgétaires, que dans l'hypothèse où l'appareil serait exporté d'ici à 2011, les cadences minimales de livraison à la France de onze avions par an, déjà en net recul par rapport aux cadences qui avaient été garanties précédemment, puissent être décalées d'un avion sur deux et compensées par les livraisons à l'export. L'export, pour des raisons liées aux aléas inhérents aux contrats internationaux, se décalant, il était indispensable de maintenir la cadence minimale initiale de onze avions par an, en deçà de laquelle toute l'équation industrielle aurait été déstabilisée. Il n'y a donc pas de cadeau fait par l'État à Dassault Aviation avec la livraison aux forces armées de onze Rafale par an. Ce qui se traduit, je vous le signale, par une cadence «infernale« d'un avion par mois sur onze mois ouvrables.
Pourtant, certains dénoncent un Dassault Aviation qui, fort de son monopole, vivrait au crochet de l'État.
Pour ceux qui continuent à penser que nous sommes un arsenal vivant grassement aux crochets de l'État, je veux juste leur indiquer que 75 % du chiffre d'affaires de notre société repose sur la vente d'avions civils et que les commandes de l'État ne représentent en moyenne que 20 % de notre activité! Par ailleurs, j'ai lu qu'il serait anormal que Dassault Aviation, entreprise privée, bénéficie d'un monopole en France sur les avions de combat. Je répondrai à cela que je ne suis pas sûr que la France ait les moyens d'entretenir deux bureaux d'études concurrents, ce que, d'ailleurs, même les Américains ne font plus. Ce serait contraire à la volonté maintes et maintes fois exprimée de rationalisation industrielle. D'autre part, Dassault n'a jamais failli dans la gestion de ses programmes et a toujours respecté ses engagements en termes de coûts, de délais et de performances, contrairement à tant d'autres…
Venons-en à l'export. On entend beaucoup dire que le Rafale est trop cher, inexportable, et que vous ne vous intéressez pas assez à l'export militaire. Qu'en pensez-vous?
Au regard de la qualité opérationnelle de cet avion, de l'engagement des personnels de l'entreprise, vous comprendrez que mon impatience à exporter le Rafale puisse être encore plus grande que celle de la presse!
D'abord un constat: l'exportation est une nécessité vitale pour l'industrie d'armement. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les industriels du programme Rafale ont accepté, fait unique dans l'industrie aéronautique mondiale, de financer 25 % de son développement. Rien que pour les Émirats arabes unis, plus de 100 personnes de Dassault Aviation, et je ne compte pas ceux de nos coopérants Thales et Snecma, sont mobilisées dans les négociations Rafale depuis plus de deux ans. Croyez-vous que je dépenserais autant d'énergie juste pour faire de la figuration si je n'en étais pas convaincu?
Les effets de style sur l'exportabilité du Rafale sont dérisoires. De quoi parle-t-on? D'abord, de compétitions internationales où nos principaux concurrents sont américains et bénéficient d'une prime de compétitivité mécanique de 40 % grâce à la parité euro-dollar. Ensuite, les ventes d'avions de combat, parce qu'elles touchent au cœur de la souveraineté des États, sont avant tout des ventes où la dimension politique est essentielle. Les États-Unis mettent tout leur poids politique dans la balance pour empêcher l'exportation du Rafale. Ils savent qu'ils hypothéqueraient, ainsi, l'avenir de cette filière en France et en Europe. Ils y gagneraient un double monopole, militaire évidemment, mais aussi technologique, car l'aéronautique irrigue, par les technologies qu'elle développe, des pans entiers de l'économie.
Il reste tout de même le prix du Rafale!
Je rappelle d'abord que 70 % du coût d'un Rafale proviennent de nos partenaires et de l'ensemble de nos sous-traitants. Que nos prix sont validés par l'État, qui se porte garant qu'il n'y a pas de surmarge dans nos offres. Enfin, à l'export, il faut comparer le Rafale à ce qui lui est comparable. Si vous m'autorisez une métaphore que je tire de mon expérience de la fabrication, les industriels se sont dotés, en production, de machines-outils cinq broches en remplacement des machines à une ou deux broches pour optimiser leurs chaînes et réduire leurs coûts. Le Rafale, grâce à sa polyvalence, permet de remplacer plusieurs types d'avions différents, ce qui contribue à réduire la quantité d'avions nécessaires pour remplir les missions qui relèvent de l'aviation de combat. Il n'est donc pas possible de comparer un pour un.
Pour conclure sur ce registre du prix, je note que l'EF2000 a été vendu à l'Autriche par EADS Allemagne à un prix très largement supérieur à ceux du F-16 et du Gripen, et, étonnamment, cela n'a choqué personne. De même, en Arabie saoudite, quand soixante-douze appareils sont vendus pour 20 milliards de livres, il n'y a pas davantage de difficultés…
Je note également que la presse fait état, en relation avec des ventes de certains de nos concurrents, d'instructions judiciaires qui, quelques fois ont mêmes été arrêtées par les pouvoirs publics locaux. Je tiens à rappeler que notre société, qui opère dans le monde entier, respecte les lois votées par les élus de la nation.
Concrètement, quel est votre marché export et comment expliquer
ces échecs?
Le marché traditionnel des avions de combat français est constitué des pays qui ne veulent pas acheter d'avions américains ou des pays qui veulent une double source. Des compétitions ont été organisées en Corée du Sud, à Singapour et aux Pays-Bas. Dans ces pays, les armées de l'air étaient alors uniquement équipées d'avions américains. Ces pays ont toujours eu des liens très étroits avec les États-Unis, pour des raisons géostratégiques en ce qui concerne la Corée ou Singapour. Pour des raisons de confort aux Pays-Bas, membre fondateur de l'Union européenne, mais farouche partisan de la préférence américaine pour ce qui relève de leur aviation de combat, souvenez-vous du marché du siècle! Nous avons peut-être commis une erreur en participant à ces premières compétitions, où nos chances étaient, dès le départ, assez limitées. Mais si nous ne l'avions pas fait, personne ne l'aurait compris. À chaque fois, nous avons éliminé l'EF2000 et nous nous sommes retrouvés en finale contre des avions américains.
Comment expliquez-vous l'échec marocain?
En 2007, c'est un véritable cafouillage étatique français en période électorale qui a fait perdre à la France un contrat, alors que les Marocains avaient la volonté de choisir français. Suite à cet échec, le président de la République, Nicolas Sarkozy, a décidé une reprise en main des contrats stratégiques, avec la création de la «war room« à l'Élysée, afin de coordonner la politique d'exportation française. Ce volontarisme présidentiel s'est traduit par une relance rapide des projets Rafale export, avec notamment les EAU (Émirats arabes unis) et le Brésil.
Précisément, où en êtes-vous de vos prospects export?
Les trois dossiers les plus avancés sont les Émirats arabes unis, l'Inde et le Brésil. Commençons par les EAU. Nous sommes depuis 2008 en négociation avec ce pays. Les EAU sont un client partenaire qui nous a toujours amenés à faire mieux. Les négociations se poursuivent, et la société s'emploie à développer des partenariats locaux qui, si le dossier Rafale aboutissait, devraient permettre de renforcer la relation stratégique entre nos deux pays sur la base d'une coopération industrielle et technologique élargie autour du Rafale.
En Inde, nous sommes en phase finale contre l'EF2000 d'EADS. Je ne ferai aucun commentaire sur ces négociations, mais je veux souligner tout l'intérêt que Dassault Aviation porte à ce client historique de l'aéronautique de combat française. Nous sommes très attachés à répondre aux préoccupations d'indépendance et de souveraineté des Indiens, qui veulent consolider une base industrielle déjà très performante.
Enfin, au Brésil, le volontarisme du président français a permis que le Rafale soit considéré au plus niveau par les autorités brésiliennes. La présidente Dilma Rousseff a décidé de geler le processus d'acquisition compte tenu de la situation économique mondiale. Nous attendons la reprise de la compétition pour 2012. Nous ne restons évidemment pas inactifs et nous avons là encore, parce que telle est l'ambition des autorités brésiliennes, multiplié les accords et partenariats technologiques, universitaires et industriels afin d'assurer les responsables brésiliens de notre volonté sans réserve de transférer le savoir-faire et les technologies qui assurent au Brésil le renforcement de sa souveraineté sur son arme aérienne.
Qu'en est-il de la décision suisse?
Les autorités militaires helvètes, dans le cadre d'un processus rigoureux d'évaluation, ont plébiscité le Rafale pour l'adéquation de ses performances au regard de leur besoin opérationnel. D'ailleurs, le rapport publié dans la presse suisse souligne la prééminence du Rafale sur ses deux concurrents. Le Conseil fédéral a annoncé qu'il orientait son choix vers le Gripen NG, le moins bien classé des trois avions en lice. Mais le choix d'un avion de combat est toujours un choix politique qui prend également en compte la qualité des relations bilatérales. Or celles-ci, vous le savez, ne sont pas en ce moment au beau fixe…
En juillet dernier, le ministre de la Défense a annoncé dans le domaine des drones Male avoir opté pour une solution proposée par Dassault Aviation sur la base du Heron TP de l'israélien IAI. Cette décision vient d'être durement mise en cause par le Sénat. Qu'en pensez-vous?
Avant de répondre directement à votre question, permettez-moi juste de la replacer dans son contexte pour que l'on en comprenne bien les enjeux.
Partant du constat que le futur avion de combat européen ne sera pas lancé avant 2030-2035, Dassault Aviation est confronté à la question centrale du maintien des compétences et du savoir-faire de son bureau d'étude en matière militaire. Il nous faut conserver la capacité de faire évoluer le Rafale en fonction des progrès technologiques et de l'évolution des menaces pendant les quarante ans de son activité dans les forces armées françaises, tout en se préparant au développement de l'avion qui un jour le remplacera.
Notre stratégie du maintien des compétences repose sur trois piliers, qui sont tous indispensables parce que complémentaires: les avions civils, qui nous permettent de développer les compétences duales, les évolutions Rafale France et export, et les drones. Dans ce dernier domaine, nous ne sortons pas du néant, mais avons depuis 2000 mis en œuvre une politique empirique.
En 2000 et en 2003, nous avons fait voler sur autofinancement des démonstrateurs l'AVE-D et l'AVE-C, qui nous ont permis notamment de valider les technologies des vols télécommandés et du vol d'une plate-forme sans dérive.
En 2003, Dassault Aviation s'est vu confier le plus important projet de recherche et technologie européen dans le domaine de l'aéronautique de combat, avec le démonstrateur d'avion de combat non piloté baptisé «nEUROn«. Ce projet est un double laboratoire: d'abord, de développement des technologies liées à la furtivité, à l'emport en soute, au vol automatique… pour une plate-forme de la taille d'un Mirage 2000 ; mais aussi de coopération européenne innovante, avec la sélection de cinq partenaires européens (Saab, Alenia, EADS-Casa, Ruag et HAI) choisis pour leurs compétences et soutenus financièrement ab initio par leur État.
Qu'en est-il de la coopération franco-britannique et du projet Heron TP?
En 2010, à la suite du traité franco-britannique de Lancanster House, une coopération dans le domaine des drones de surveillance Male (Medium Altitude Long Endurance) a été amorcée pour répondre aux besoins des forces armées des deux pays. Dans ce cadre, Dassault Aviation et BAE Systems ont proposé un projet de drone Male baptisé «Télémos«. Ce projet doit permettre, à l'horizon 2020, de fournir aux forces armées française et britannique un drone de surveillance reposant sur des technologies 100 % européennes! Cela vous montre que si, avec BAE, nous sommes concurrents aujourd'hui dans les avions de combat, nous sommes conscients que notre avenir passe de façon pragmatique par des coopérations. Le drone Male doit ouvrir cette voie.
Il s'agit là d'une perspective à l'horizon 2020. En parallèle des enjeux industriels, il existe des besoins militaires. Le conflit libyen a démontré la dépendance des armées françaises aux renseignements fournis par les Américains, faute de disposer de drones adaptés et modernes. Cette carence a été soulevée par des rapports parlementaires. Pour combler ce déficit capacitaire, le comité d'investissement du ministère de la Défense a décidé, en juillet dernier, d'entrer en négociation avec Dassault Aviation pour la fourniture d'une version francisée et évolutive du Heron TP israélien.
C'est cette décision qui est aujourd'hui reprochée au ministre de la Défense, le drone américain Predator semblant avoir de nombreux partisans, notamment au Sénat…
Face à cette carence capacitaire, les alternatives étaient pour le ministère de la Défense en vérité assez simples. D'un côté, un achat sur étagère auprès des Américains permettant de combler ce déficit, mais qui ne se traduisait par aucun transfert d'expérience et de savoir faire vers le territoire national et les industriels français. L'Amérique, vous le savez, ne partage pas! Pensez-vous que la France serait mieux traitée avec le Predator que ne le sont les britanniques avec le JSF F-35?
De l'autre côté, le choix d'une plate-forme israélienne, qui sera un peu plus onéreuse que le Predator en raison des travaux de francisation, gage de notre indépendance nationale. Ce projet est très important au plan industriel. Il va permettre à Dassault Aviation, en application de l'accord intergouvernemental franco-israélien, de bénéficier de transferts d'expériences de la part de la société israélienne IAI et de la connaissance approfondie des systèmes Male. Nous aurons, en outre, la responsabilité de l'ensemble des travaux de francisation et d'intégration de système.
Ce choix va conforter toute une filière industrielle française cohérente autour de Dassault Aviation, dans l'optique de mettre l'équipe France en position de force pour aborder la coopération franco-britannique. Je m'engage à ce que ce projet franco-israélien tienne toutes ses promesses, tant en termes de prix que de délais ou de performances. Je sais que les attentes sont fortes.
Dassault Aviation et Thales ont été l'objet d'une violente campagne médiatique. Où en êtes-vous avec Thales à ce jour?
Je ne suis pas devenu actionnaire de Thales en investissant deux milliards d'euros pour être juste un «sleeping partner«, mais avec la mission, confiée par l'État, d'opérateur industriel. Cette mission m'oblige à ne pas rester passif devant les difficultés. Or Thales, qui est un des fleurons technologiques français, a traversé une période difficile en raison d'une gestion que je qualifierais au minimum de hasardeuse! Je ne rentrerai pas dans le détail de mes découvertes, mais je rappelle que nous avons trouvé un certain nombre de contrats accusant des pertes pharaoniques de près de 2,5 milliards d'euros. Ceci a conduit Thales à faire trois «profit warning«. Alors que les Cassandre annonçaient l'effondrement de l'entreprise et l'incapacité de son nouveau président, la société est aujourd'hui gérée et contrôlée. Les commandes et le chiffre d'affaires sont au rendez-vous, les résultats annoncés au marché sont tenus et ceci sans avoir sacrifié les investissements de recherche, contrairement à certaines allégations, là encore mensongères.
Mon ambition d'opérateur industriel est claire. D'abord, assainir la situation dans laquelle se trouve Thales pour en faire un acteur industriel compétitif et flexible. Une fois ces fondamentaux restaurés, il sera possible de s'atteler à relever de nouveaux défis. J'aspire à ce que Thales devienne le champion européen dans les domaines des hautes technologies stratégiques, de l'aéronautique et de l'espace, de la défense et de la sécurité, à l'instar de ce qui s'est fait en Grande-Bretagne autour de BAE, tout en poursuivant la diversification vers des activités civiles pour équilibrer les cycles et compenser la baisse des budgets militaires.
On dit volontiers que Dassault Aviation est vieillissant, tant dans son actionnariat que dans son management?
Nous sommes, Serge Dassault et moi-même, extrêmement sensibles à ces marques d'intérêt pour notre santé. Je voudrais d'abord les rassurer tous, à moins que cela ne les inquiète davantage: il n'y aura pas de vacance de pouvoir dans la société, la continuité sera assurée. Chaque chose viendra en son temps et sans l'avis de tous ces «fameux experts«…
Dassault Aviation présente l'avantage d'être une société contrôlée par un actionnaire majoritaire. C'est une véritable chance pour elle, car cela permet une gestion sur le long terme, cohérente avec le cycle de nos produits, et sans que le management ait les yeux rivés sur les cours de l'action.
C'est également une chance pour la France que cet actionnaire s'intéresse à la défense, car ce n'est pas l'activité la plus lucrative pour les investisseurs, si j'en juge par les difficultés rencontrées en Allemagne pour trouver un actionnaire de substitution à Daimler chez EADS, où les candidats ne se sont pas bousculés! Il est certainement plus rentable d'investir dans le luxe que dans l'aéronautique et la défense!