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Flottes militaires et Industrie de Défense
La marine chinoise accède au rang de 3ème puissance mondiale
Le destroyer
Hangzhou, du type russe
Sovremennyy
crédits : Chinese Military Forum
La marine chinoise accède au rang de 3ème puissance mondiale
Avec 424 bâtiments de combat pour 788 870 tonnes, le réveil est un peu brutal mais les chiffres sont là. La flotte chinoise, en pleine expansion, fait désormais partie des grandes puissances maritimes mondiales.
26/12/2005
Ce rôle devrait se renforcer dans les toutes prochaines années. Signe des temps, la marine chinoise fait son entrée dans le tableau des huit plus grandes marines de l’édition 2006 de Flottes de Combat. « C’est la première fois que la Chine y figure et cette présence va certainement secouer les esprits, d’autant, que pour une première, elle arrive directement en troisième position, derrière la Russie et bien avant la Grande-Bretagne », souligne Bernard Prézelin. Pour l’auteur de cet ouvrage de référence, réactualisé tous les deux ans, « comment s’en étonner puisque la Chine devient l’une des superpuissances du globe ? ». En comparaison, la Royal Navy, en pleine cure d’austérité, se maintient péniblement à 470.000 tonnes et la Marine nationale, sixième flotte mondiale après le Japon, affiche un tonnage de 307.000 tonnes. L’arrivée de la marine chinoise, sur le podium des trois premiers mondiaux, révèle la nouvelle importance que le gouvernement de Pékin place dans son action maritime. Toutefois, selon Bernard Prézelin, « Il convient de relativiser cette constatation, car elle n’a toujours, pour le moment, qu’une vocation régionale. Rappelons cependant que cette vocation n’était que locale il y a encore moins de dix ans. Ses théâtres d’opération vont probablement s’étendre dans la mesure ou la Chine a déjà, ou va aider, plusieurs Etats riverains de l’océan Indien pour la construction de bases navales (qui) seront autant de points d’appui pour ses propres bâtiments ». On peut ainsi citer Gwadar, au Pakistan, Marao aux Maldives, Chittagong au Bangladesh et les Iles Coco au Myanmar. La future vocation océanique de la flotte chinoise se traduit également dans la construction de grands pétroliers ravitailleurs, avec la mise en service de deux unités de 23.000 tonnes, portant à cinq la flotte de grands PR (contre quatre pour la France, à titre de comparaison).
La Flotte sous-marine se modernise
Dans les années 60 et 70, la Chine s’est lancée dans un programme de submersibles à propulsion nucléaire. Ces recherches ont abouti au cinq sous-marins nucléaires d’attaque (SSN) du type Han, dont le premier exemplaire, le 401, a été lancé en décembre 1970 et le dernier a été réceptionné en 1991. Les études, comme les essais de ces navires ont été longues et fastidieuses. Un submersible stratégique (SSBN) a également vu le jour, mais il serait resté seul de sa catégorie. Mis sur cale en 1978, le Xia est un bâtiment de 7000 tonnes en plongée, emportant 12 missiles Ju Lang-1. Selon les données recueillies par Flottes de Combat, la portée de ces engins dépasserait 3600 Kms. Son successeur, le Ju Lang-2, actuellement en cours de développement, atteindra 8000 Kms. Ce missile à deux étages emporterait une tête de 2,5 mégatonnes ou 3 MIRV de 90 kilotonnes. Il équipera les SSBN de nouvelle génération, dont la tête de série a été lancée en juillet 2004, et devrait rejoindre la flotte en 2007. Pékin a, en effet, décidé de moderniser en profondeur sa composante sous-marine. Deux SSN ont également été lancés fin 2002 et fin 2003. Sans doute dérivés des Victor III russes, leur construction est enveloppée d’un grand secret. La longueur atteindrait 107 mètres et le déplacement 6000 tonnes. Dans le domaine des sous-marins classiques, l’évolution est remarquable : « les huit Kilo commandés en 2002 à trois chantiers russes différents, afin d’obtenir des livraisons rapides, auront tous rejoint la Chine en 2006 », note Bernard Prézelin, qui précise que « la production en série des type Song s’est amplifiée avec maintenant deux chantiers constructeurs ; dix unités sont en service et au moins quatre en construction ». Ces navires de 2250 tonnes en plongée peuvent filer 22 nœuds et devraient être équipés de missiles antinavires. Un dernier type de submersible classique a enfin vu le jour l’année dernière. Il s’agit du Yuan, intermédiaire entre le Song chinois et le Kilo russe. Au total, la Chine aligne 80 sous-marins, dont 5 nucléaires.
Les navires furtifs arrivent en masse
Discrètement mais sûrement, la flotte chinoise change d’image, avec des bâtiments arborant désormais des formes furtives, se rapprochant de leurs homologues occidentaux. C’est notamment le cas des destroyers de la classe Lanzhou, livrés récemment par leur chantier de Shanghai. Ces très beaux bâtiments de 7000 tonnes sont équipés de missiles antiaériens chinois HQ-9 et de 16 missiles antinavires C 803 (Ying Ji-3), d’une portée de 160 Kms. Ils arborent, par ailleurs, un radar à quatre faces planes qui semble inspiré du système Aegis américain. Sont également entrés en service, l’année dernière, deux unités de type Guangzhou, dotés de missiles russes SA-N-7 et de missiles antinavires C 803. Ces destroyers de 6800 tonnes, capables de filer 29 nœuds, mesurent 160 mètres de long. Selon Bernard Prézelin, « deux autres destroyers lance-missiles dérivés du Shenzen mis en service en 1999 (153 mètres, 6600 tonnes), mais probablement dotés de missiles surface/air HQ-9 ou SA-N-6 sont en achèvement à flot pour l’un et en construction pour le deuxième ». Avec les quatre destroyers russes du type Sovremennyy, commandés aux chantiers de Saint-Pétersbourg, la flotte chinoise alignera dans moins de deux ans une dizaine de grands bâtiments de défense aérienne. L’évolution des frégates est également notoire, avec l’admission au service actif des deux premières unités de la classe Ma’anshan (type Jangkai), portant la série à quatre navires. Dotées de formes furtives, ces navires, dont la construction est envisagée à une trentaine d’exemplaires, ont été jugés à tort comme des répliques des La Fayette françaises. D’un déplacement de 3500 tonnes, elles embarquent un système antiaérien Crotale modulaire et 8 missiles antinavires. La catégorie des frégates compte, également, une dizaine de Jiangwei II, légèrement moins grosses que les Ma’anshan (2250 tonnes), mais dotées d’un armement équivalent.
Un premier porte-avions ?
Ce qui était, jusqu’ici, un secret de polichinelle commence à prendre forme. Le porte-avions Varyag, sistership du Kuznetzov russe, fait bel et bien l’objet de travaux dans un chantier de Dalian. Sa construction avait été interrompue en 1993, alors qu’il était à 70% d’achèvement dans les bassins de Nikolaev. Acheté officiellement en 2000, par une société de Macao, pour être transformé en casino flottant, il a finalement rejoint la Chine pendant l’hiver 2002. Avant cela, la Chine a été contrainte à d’âpres négociations avec la Turquie qui refusait, pour des raisons de sécurité nautique, de laisser le navire traverser le détroit du Bosphore. La visite d’officiels chinois et la promesse d’une aide économique de 350 millions de dollars aurait convaincu Ankara de laisser passer le convoi. Acheté à l’époque 20 millions de dollars, soit trois fois le prix de vente à la ferraille, le navire est aujourd’hui peint en gris clair, livrée officielle de la marine chinoise. Celle-ci va sans doute tenter de s’en servir comme base d’un futur porte-avions. Deux solutions sont envisageables. Soit les ingénieurs s’en servent de base pour la réalisation d’un navire de construction nationale, soit le bâtiment est achevé, ce qui entraînerait, probablement, des travaux longs et difficiles sans aide de la Russie. D’un déplacement de 65.000 tonnes à pleine charge, son sister-ship, le Kuznetzov, embarque 30 aéronefs et un impressionnant arsenal de missiles antinavires SS-N-19 (12) et antiaériens SA-N-9 (192). Son parc aérien comprend des Su-33 Flanker. A noter, à ce propos, que la firme russe Sukhoi vient d’ouvrir une antenne en Chine.
Développement impressionnant de la flotte amphibie
Le renforcement de cette composante est apparu de façon éclatante, cet été, lors de l’exercice russo-chinois « Mission Paix 2005 ». Pas moins de 10.000 hommes ont été engagés dans de vastes manœuvres navales et amphibies, le long de la presqu’île de Shandong. Cette opération avait d’ailleurs soulevé une polémique en Russie, certains politiques et analystes jugeant que cette opération relevait plus de la manœuvre d’intimidation contre Taiwan que de la lutte anti-terroriste. En deux ans, ce sont une vingtaine de grands bâtiments de débarquement de chars qui ont rejoint la marine chinoise. Cette dernière dispose, à ce jour, de 100 navires amphibies, dont 36 ont un tonnage supérieur à 2000 tonnes. Comme les exercices russo-chinois ont pu le démontrer, outre ces unités, l’armée de terre chinoise dispose un nombre de blindés amphibies capables de les remplir. Selon Flottes de Combat 2006, « une nouvelle série, à coque catamaran, a également été lancée, au moins neuf sont en service ». Pour permettre le déploiement de troupes aéroportées, la commande d’un premier transport de chalands de débarquement est à l’étude. Ce navire déplacerait plus de 12.000 tonnes.
Embargo sur les ventes d’armes
Au coeur de ce développement se trouve la question épineuse, voire explosive, des ventes d’armes. Les Etats-Unis refusent catégoriquement que l’embargo soit levé, contrairement à un certains nombre de pays européens. Ainsi, le 5 décembre, lors de la visite en France du premier ministre chinois, Wen Jiabao, Dominique de Villepin a plaidé pour la levée de l’embargo sur les armes. Cette mesure avait été prise en Europe, en 1989, suite à la répression sanglante de la Place Tienanmen. Pour le premier ministre français : « Nous continuons de considérer que cet embargo constitue un anachronisme. Il ne reflète pas la réalité de nos relations avec la Chine, pas la réalité, non plus, du partenariat stratégique que nous sommes en train de bâtir avec elle ». S’il n’est pas question, aux dires de Matignon, que « les Européens n’ont pas l'intention, de quelque manière que ce soit, d'accroître leurs exportations d'armes vers la Chine, tant en termes qualitatifs qu'en termes quantitatifs », les relations entre Paris et Pékin existent déjà en la matière et ne demandent sans doute qu’à être relancées. Ainsi, la marine chinoise utilise du matériel d’origine française. Outre quelques hélicoptères Super Frelon, la flotte souhaite acquérir d’autres Dauphins, en plus des 25 qu’elle possède. En 1993, le destroyer Kaifeng avait, quant à lui, été modernisé avec l’aide des Français, recevant, à cette occasion, une conduite de tir DRBC 32-F et Castor II. Une copie du sonar DUBV-43 est en service sur certaines unités; quant au SQG-2B, sur les sous-marins de classe Song, il ne s’agit ni plus ni moins que du sonar passif DUUX-5. Divers armements sont également en service, comme les tourelles de 100 mm Creusot-Loire et surtout, les batteries de missiles Crotale modulaire. Ces équipements restent, toutefois, totalement anecdotiques si on les compare, en proportion, aux matériels russes, tant en matière d’armes que de senseurs et même, nous l’avons vu, de navires.
Une poudrière en mer de Chine ?
Devant la montée en puissance de la marine chinoise, les experts occidentaux s’interrogent sur la finalité d’un tel déploiement de force avec, bien évidemment, une pensée toute particulière pour Taiwan. Axe de développement économique majeur, l'est de l'Asie est une région de fortes tensions. Le froid diplomatique glacial qui règne entre Tokyo et Pékin, avec ces derniers mois quelques provocations notoires, n’est pas de nature à rassurer les stratèges, d’autant que l’ensemble des forces armées du secteur se renforce au pas de charge. La marine nippone poursuit son développement avec de nouveaux grands destroyers lance-missiles(dotés du missile anti-balistique américain SM-3), des porte-hélicoptères d’assaut et de nouveaux sous-marins. Moins regardée et pourtant en pleine mutation, la flotte sud-coréenne devrait elle aussi, dans les toutes prochaines années, faire son entrée dans le tableau des huit plus grandes marines mondiales, au détriment de l’Italie. Outre le programme des destroyers dérivés des Arleigh Burke américains, Séoul souhaite incorporer trois porte-hélicoptères d’assaut et une quarantaine de patrouilleurs lance-missiles, alors que sa marine va disposer de 12 sous-marins récents d’origine allemande. Selon Bernard Prézelin : « Des étendues maritimes, proches des côtes chinoises, pourraient devenir des zones de fortes tensions ; se trouvent dans cette situation, non seulement les archipels des Spratley et des Paracels, revendiqués depuis de nombreuses années par plusieurs états riverains de la mer de Chine, mais surtout l’île de Taiwan, que la Chine continentale espère bien se réapproprier, au besoin par la force des armes ». L’auteur de Flottes de Combat pense également au Japon : « Vient s’y ajouter un chapelet d’îles appartenant au Japon, les Shenkaku, à proximité immédiate d’Okinawa, que la Chine revendique, comme étant siennes, sous le nom d’archipel des Diaoyu ». Outre un simple conflit territorial séculaire, c’est surtout le contrôle politique et stratégique qui importe dans cette affaire, avec, à la clé, les immenses réserves naturelles, notamment en gaz, repérées au large d’Okinawa. « Ces tensions résident dans les énormes besoins énergétiques de la Chine qui ne feront que croître à l’avenir »
Vincent Groizeleau