Frégates Horizon : Les essais qui rassurent
08/02/2007
La frégate Forbin, tête de série du programme Horizon, a effectué, du 30 janvier au 2 février, de nouveaux essais en mer. Pour ses concepteurs et ses futurs propriétaires, cette sortie était cruciale. Après les essais de plateforme l'an passé, pour la première fois, le système de combat a été testé à la mer. Conçu par DCN, Thales et le groupe italien Finmeccanica, le Combat Management System a rencontré de grosses difficultés de mise au point, entraînant un décalage des essais à la mer. Le programme accuse désormais 18 mois de retard, la livraison du Forbin étant retardée de décembre 2006 à mi-2008. Cette fois, le CMS semble, néanmoins, avoir passé un cap important : « Jusque là, des essais avaient été menés sous-système par sous-système mais, à chaque fois que l'on tentait de faire jouer l'orchestre ensemble, c'était la cacophonie la plus complète », explique un proche du dossier. Après des essais sur une plateforme à terre, à Toulon, la semaine dernière, le Forbin a pu véritablement tenir une situation tactique au large de la Bretagne, faisant jouer ensemble, et en harmonie, la plupart de ses principaux senseurs. Les radars du Principal Anti Air Missiles System (PAAMS) ont notamment été branchés au système de combat. Pour mettre à l'épreuve le CMS de la frégate de défense aérienne et opérer des poursuites multi-senseurs, hélicoptères et avions (Super-Etendard et Atlantique 2) ont participé aux manoeuvres. Si les essais avaient, avant tout, pour but de tester les performances techniques du système, de véritables simulations d'attaque ont été menées, avec des approches en piqué et des avions volant au ras des flots. Le résultat ? « Ca c'est vraiment très bien passé. Les essais sont très encourageants, les résultats bons et les performances du système très impressionnantes ». L'équipage aurait été impressionné par la poursuite infrarouge d'un Super Etendard et les capacités du radar de veille longue portée, sans équivalent dans la marine.
Encore de longs mois de mise au point
Présenté comme les bâtiments de combat les plus « complexes d'Europe », les frégates Horizon devront détecter, pister, reconnaître et éventuellement engager simultanément plus de 12 avions ou missiles. Pour cela, de très nombreux équipements sont nécessaires : un radar de veille tridimensionnel à longue portée (LRR) S 1850 M, un radar multifonctions à balayage électronique EMPAR (capable de suivre 300 cibles), un ensemble complet de guerre électronique, comprenant notamment des brouilleurs et lance-leurres de nouvelle génération, une conduite de tir pour l'artillerie et un sonar d'étrave. Pour traiter la menace, le CMS et ses opérateurs disposeront de 32 missiles Aster 30 (portée de 100 km), 16 missiles Aster 15 (30 km), deux pièces de 76 mm, 8 missiles anti-navire MM 40 Block III et deux tubes lance-torpilles pour MU 90. Ces quelques éléments laissent imaginer la complexité des logiciels du système de combat, permettant de recevoir, traiter et coordonner, en temps réel, la mise en oeuvre des armes et l'ensemble des informations recueillies par les senseurs. En tout, le CMS comprend 22 modules logiciels, 24 consoles, 10 calculateurs et 3.5 millions de lignes de codes. Bien que les essais de la semaine dernière aient été « très encourageants », laissant entrevoir des capacités « exceptionnelles » et une idée du potentiel de la frégate, le travail de mise au point du système de combat, en retard sur le planning initial, est loin d'être achevé : « Le système n'est pas encore mûr à ce stade. C'est normal, mais la route est encore longue avant d'atteindre les performances demandées ». Le CMS a pu fonctionner, d'affilée, plusieurs heures sans bug. Il doit désormais être fiabilisé pour être opérationnel en permanence. Ceci passe par un important travail de « débugage » des logiciels, chaque traitement d'erreur entraînant classiquement l'apparition de nouveaux bugs, le tout au sein du système informatique le plus compliqué jamais embarqué sur un navire français. De très nombreux mois seront donc encore nécessaires avant de parvenir à une situation satisfaisante permettant au Forbin d'être opérationnel à 100%.
Un montage industriel aussi complexe que le système en lui-même...
L'énorme complexité du système de combat des Horizon n'est, toutefois, pas la seule et unique raison du retard et des problèmes rencontrés. Le montage industriel retenu pour le premier grand programme naval en coopération a, lui-aussi, une bonne part de responsabilité dans les déboires rencontrés. « Le programme a connu un glissement naturel du fait de la mise au point d'un système très complexe, mais aussi et souvent, à cause de la complexité de la coopération internationale et du montage industriel retenu », soulignent deux spécialistes. C'est en 2000 que la commande des navires a été signée par Rome et Paris. Côté industriel, le projet a été confié à Armaris (filiale de DCN et Thales) et Orizzonte (filiale de Finmeccanica et Fincantieri), l'ensemble étant regroupé dans une nouvelle filiale, Horizon SAS créée, pour l'occasion, afin d'assurer la maîtrise d'oeuvre d'ensemble. Sous Horizon SAS, DCN et Fincantieri sont chargés, pour la partie plateforme, du développement et de la construction. Dans le même temps, une autre société, EuroSysNav, a été voulue par Armaris et Finmeccanica dans le but d'assurer la maîtrise d'oeuvre et l'intégration du système de combat (CMS). De EuroSysnav dépendent, à la fois, un pôle DCN/Thales/Finmeccanica, en charge du système de direction de combat, mais aussi SIGEN (filiale de Thales et Electtronica) pour la guerre électronique et NICCO (autre filiale de Thales et Electtronica) pour les communications intégrées. Au niveau du CMS, les 22 éléments logiciels sont d'abord partiellement intégrés en quatre grandes fonctionnalités, confiées à Thales Naval France, DCN, SELEX (ex-Alenia) et DATAMAT puis bénéficient ensuite d'une intégration d'ensemble. Cette intégration est d'abord menée, en simulation, sur une plateforme terrestre à Rome puis, avec les équipements réels, sur la plateforme SIF à Toulon.
Le problème des responsabilités
Des inquiétudes sont nées lorsque la réalisation de certaines parties sensibles du CMS a été confiée à des partenaires dont l'expérience était limitée sur les domaines concernés. Logiquement, ces attributions ont soulevé des difficultés prévisibles, amplifiées par le montage industriel dont nous venons de voir l'extrême complexité, alors que chaque intervenant réalisait ses propres modules : « TNF a commencé les premiers modules logiciels, puis Alenia a intégré ses modules et enfin, le tout a été envoyé à DCN. Le problème, c'est qu'avec un tel montage industriel, personne n'est responsable de rien et à la fois responsable de tout. Quand les difficultés ont commencé à apparaître, ce fut le début d'un jeu de pingpong où on pouvait se renvoyer à l'infini les responsabilités», commente, agacé, un ingénieur. En effet, dans un montage international en forme de cascade de Joint Ventures croisées, les responsabilités se dissolvent et même certains industriels finissent « par y perdre (leur) latin » [en Français dans le texte; ndlr], pour reprendre la formule de l'un d'entre-deux, qualifiant littéralement la situation d'« ubuesque » et ajoutant que « dans cette affaire, tout le monde est en retard mais personne ne veut s'afficher ». Le cas du CMS et du PAAMS est, à lui seul, très révélateur. Si, chez MBDA, on dément catégoriquement que le système d'armes soit responsable de l'actuel retard d'Horizon, à DCN, on continue de montrer du doigt l'équipement du missilier européen. « Ni sur Horizon ni sur les T 45 britanniques, le système PAAMS n'est la cause du retard », assure-t-on chez MBDA, une affirmation avec laquelle DCN n'est, à ce jour, « pas d'accord ». Au ministère de la Défense, on indique « qu'aujourd'hui, chaque programme a son propre retard mais que les retards sont décorélés. Le retard du PAAMS n'impacte pas Horizon et vice-versa ». Pour une autre source ministérielle : « La Délégation Générale pour l'Armement a fait son travail de maîtrise des impacts croisés de ces décalages calendaires pour maintenir l'alignement des deux programmes et conserver les principaux rendez-vous ». Dans le nouveau calendrier fixé l'an passé, la dernière version du PAAMS a été livrée à l'heure, en décembre, pour être intégrée au CMS et être testée en mer la semaine dernière.
Une dizaine d'autres programmes se greffent sur Horizon
Pour en ajouter à cette situation difficile, Horizon intègre pas moins de neuf nouveaux programmes d'équipements, tous plus ambitieux les uns que les autres. Radar LRR, système de transmission par satellite Syracuse N2000, Système de Lutte Anti-Torpilles (SLAT), guerre électronique, missiles Aster 30 et Exocet MM 40 Block III, torpille légère MU 90, hélicoptère NH 90 et, bien entendu, le coeur du système d'armes des frégates, le Principal Anti Air Missile System (PAAMS). Bien que s'étant retirée du programme Horizon en 1999, la Grande-Bretagne a maintenu sa participation sur ce projet pour ses destroyers de la classe Daring (T 45). Industriellement, le PAAMS est porté par Europaams, qui sous-traite la réalisation à Eurosam. Cette société, qui regroupe Thales et MBDA (Initialement Aérospatiale Matra Missiles et Alenia Marconi Systems), livre ses équipements aux Etats, lesquels mettent le PAAMS à disposition d'Horizon SAS. L'industrie britannique participe également à ce programme, au travers de BAE Systems, en charge notamment de fabriquer des sous-ensembles. Les équipes anglaises ont, par exemple, installé le LRR sur le Forbin. Comprenant les radars S 1850 (Thales) et EMPAR (Alenia Marconi Systems), les missiles Aster et leur lanceurs, ainsi qu'un système de commande et de contrôle, le PAAMS ne doit pas être confondu avec le système de combat (CMS), noyau logiciel gérant l'ensemble des systèmes et des senseurs. Système d'armes, le PAAMS est intégré au CMS mais peut, et c'est une spécificité de ces bâtiments, fonctionner seul, avec la conduite de tir (EMPAR) et son module de commande. Cette configuration permet au bâtiment de poursuivre le combat en cas d'impact adverse ou d'avarie du système de combat. Si le programme PAAMS a connu, lui-aussi, du retard il n'est pas, contrairement a ce qui a pu être avancé parfois, responsable du retard d'ensemble d'Horizon, ce que confirme aujourd'hui le ministère de la Défense. Presque achevé, la dernière version du système a été livrée à l'heure, en décembre, pour être intégrée au CMS.
Le bout du tunnel en vue
Après des débuts plus que laborieux, le programme Horizon serait donc en passe de trouver sa vitesse de croisière : « Le montage industriel est très compliqué et les différents groupes, qu'ils soient français, italiens ou britanniques, n'avaient pas l'habitude de travailler ensemble, chacun ayant une culture et des procédés très différents. Il a fallu instaurer un dialogue, mettre en place des processus communs. En 2006, on a vu les industriels étrangers monter sur le navire et installer leurs systèmes. C'est là qu'on a recollé les morceaux du lego. La période de rodage a été longue mais, après les derniers essais, qui étaient une phase délicate, nous voyons que nous avançons et nous sommes rassurés », explique-t-on à la Délégation Générale pour l'Armement (DGA). Afin de gérer, au mieux, la mise au point du CMS, l'intégration des différents sous-systèmes sera progressive. Pendant un an, les essais se poursuivront sur la plateforme terrestre de Toulon, qui reproduit notamment la mâture d'une frégate Horizon. Toutefois, les conditions en mer étant plus délicates (problèmes d'interférences électromagnétiques, réflexion de l'eau, mouvements de la plateforme...), une série supplémentaire de tests au large a été intégrée, l'an passé, au contrat.
Trois versions du CMS testées d'ici l'été
En janvier, la sortie a concerné la lutte au dessus de la surface. Les capteurs, essentiellement du PAAMS, ont été intégrés au CMS, tout comme d'autres moyens de détection du navire, ainsi que la conduite de tir des canons de 76 mm. Après cette version du CMS, la V 3, une nouvelle version, la V 3.1, est attendue en avril. Elle intégrera la guerre électronique, regroupant détecteur, intercepteur, brouilleurs (JASS) et lance-leurres (NGDS). L'ensemble fait actuellement l'objet d'une qualification à Brest. Dans cette configuration, le CMS V 3.1 sera validé à Toulon puis testé à la mer en avril. Une longue période de sortie suivra, ensuite, jusqu'en juin. Enfin, d'ici l'été, une version 3.2 sera développée, intégrant les fonctionnalités déjà testée et, cette fois, la lutte anti-sous-marine, avec le sonar 4110 CL et le système de lutte anti-torpille (SLAT). A l'issue de cette longue période d'essais, début 2008, le CMS disposant de toutes ses capacités devrait être qualifié à Toulon puis, à la mer, juste avant la livraison. A ce moment, la Marine nationale disposera de l'outil de défense aérienne le plus performant de son histoire, apte à gérer un espace aérien en opérations interarmées complexes, à commander la défense aérienne depuis la mer, à traiter tous types de menaces et à protéger ses unités précieuses, à commencer par ses porte-avions.
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